Rencontre avec Tiago Rodrigues - Directeur du Festival d'Avignon

Rencontre avec Tiago Rodrigues - Directeur du Festival d'Avignon

La 77eédition du Festival d’Avignon invitera la langue anglaise. Son nouveau Directeur, Tiago Rodrigues, a donc été convié à Londres, à l’Institut Français, où il a rencontré des professionnels du spectacle vivant et du public curieux des œuvres de nos deux pays. Lors de sa visite au LFCG, il a échangé avecune centaine de nos élèves de la 3e à la Terminale ayant un intérêt particulier pour le théâtre. M. Rodrigues est revenu sur l’histoire et la philosophie du Festival, avant de se prêter volontiers à une séance de questions-réponses.

Malgré tout le prestige de sa fonction et du Festival, c’est en toute simplicité, franchise et décontraction, et avec beaucoup de chaleur que Tiago Rodrigues a enthousiasmé son auditoire.

Tout a commencé en 1947 avec la vision idéale de Jean Vilar d’un théâtre populaire riche de la pluralité des esthétiques et des cultures, devenu depuis un festival internationalement reconnu.

Selon son nouveau Directeur, le Festival d’Avignon « n’est peut-être pas le plus grand festival d’art vivant au monde, mais c’est sans conteste le plus beau », avec ses lieux mythiques, tels que la Cour du Palais des Papes et autres chapelles et cloîtres qui, pour un temps, se transforment en théâtres. D’ailleurs, cette année, la carrière de Boulbon, située hors les murs, convertie pour la première fois en lieu de spectacle par le célèbre Peter Brook en 1985 pour son Mahabharata – il cherchait alors un lieu nouveau et insolite qu’il avait trouvé dans cette caverne en plein air – sera de nouveau utilisée, ce qui n’est pas le cas tous les ans.

Selon T. Rodrigues, « l’expérience (inoubliable) du Festival est liée aux lieux inhabituels et aux spectacles eux-mêmes inoubliables ». Le travail de conversion de ces espaces singuliers et uniques est colossal et demande une grande préparation pour permettre des « accidents heureux ».

Cette année, un effort particulier se tourne vers le jeune public dans un esprit d’éducation artistique et populaire. Du 5 au 25 juillet, 5.000 jeunes venus de France et d’ailleurs viendront faire un même parcours, voir les mêmes spectacles et rencontrer les artistes. Outre leur âge, ils auront comme point commun de vivre ensemble l’expérience avignonnaise pour la Première Fois, en écho au rêve de Jean Vilar de rendre le théâtre accessible au plus grand nombre. L’idée est de leur faire vivre une expérience transformatrice en toute informalité, avec le bon accompagnement. Venir au Festival a quelque chose d’intimidant, et pourtant, on peut s’y rendre en « baskets, voire en claquettes ».
À propos de la jeunesse, Tiago Rodrigues a exprimé et réitéré son enthousiasme à rencontrer nos élèves et leur a promis des réponses sans filtres aux questions posées très librement, en proposant de profiter de ces échanges pour leur faire quelques suggestions de spectacles pour cet été.

Questions des élèves

Vous parlez d’art vivant, quelles disciplines seront représentées cet été ? Par exemple, l’opéra ?

Au départ, Jean Vilar étant un homme de théâtre, il avait organisé la première Semaine d’Art dramatique. Puis, dès 1967, il y avait ajouté de la danse avec Maurice Béjart et du cinéma avec Jean-Luc Godard avec son film La Chinoise.
Depuis, le Festival, c’est généralement plus de 50% de théâtre, beaucoup de danse et de l’« indiscipline », des spectacles-performances. Cette année, il y aura également des apports des arts visuels et même de la musique, par exemple en partenariat avec la Collection Lambert ou le Printemps de Bourges (avec la recréation des albums mythiques de 1972 de David Bowie, Lou Reed et Neil Young) : sur les 44 spectacles présentés, 10 seront de la danse et il y aura 2 expositions, des concerts, etc.

Concernant l’art lyrique, M. Rodrigues ne l’a pas exclu, précisant qu’il ne fait pas partie de la tradition du Festival, mais que rien ne l’interdit. Il a cependant rappelé les exigences acoustiques de cette forme artistique peu compatibles avec les lieux avignonnais. En outre, le prestigieux festival d’Aix-en-Provence, voisin, ou les chorégies d’Orange se conçoivent en complémentarité de celui d’Avignon.

Quelle pièce vous a le plus marqué ?

À la question-piège qu’il redoute à chaque interview de journaliste et qu’un élève lui a posé de manière candide, M. Rodrigues a répondu qu’il aime par-dessus tout le théâtre qui marie avec malice l’émotion d’une intrigue, la mise en scène et la profondeur des personnages.

Que ressentez-vous quand vous écrivez une pièce ?

Tiago Rodrigues est auteur, acteur et metteur en scène, mais pour sa visite au Lycée, il est venu en tant que Directeur du Festival d’Avignon, pour représenter tous les artistes et leurs spectacles. Il a tout de même admis qu’il travaille bien mieux sous pression avec des dates limites et qu’il écrit « avec et pour les comédien(nes) ». « Dans une sorte de dialogue, de roman épistolaire », il peut par exemple écrire le matin pour la répétition de l’après-midi. « Une mauvaise scène écrite le matin peut donner une formidable répétition », s’enrichissant des apports de chacun, de la confiance en équipe, car il sait s’entourer, et par un travail collaboratif. Bien qu’il n’ait pas, de son propre aveu, la rigueur de certains auteurs qui écrivent avec régularité, il prend beaucoup de notes qui façonnent progressivement ses pièces.

Comment est financé le Festival ? Quelle est sa relation avec l’État ?

Le Festival est géré par une association indépendante, mais il est perçu comme remplissant une mission de service public, et une contribution au patrimoine immatériel national. À ce titre, totalement autonome dans sa gestion, l’association travaille avec rigueur et transparence et reçoit un accompagnement financier.

À 55%, le Festival bénéficie de financements publics provenant de l’État et de 4 collectivités territoriales : la ville d’Avignon, l’agglomération du Grand Avignon, le département de Vaucluse et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le reste provient essentiellement de la billetterie, complété par des partenariats, des mécènes, des financements européens…

La question n’ayant pas été posée, M. Rodrigues a tenu à expliquer l’invitation faite à la langue anglaise en 2023.

L’idée est d’inviter une nouvelle langue chaque année. De permettre aux spectateurs de découvrir les arts vivants de cette langue (en l’occurrence, du Royaume-Uni, des États-Unis, d’Australie et du Nigéria). Sur les 44 spectacles, beaucoup sont en anglais mais surtitrés en français et plus de 30 seront ainsi accessibles aux anglophones par des surtitres ou de la documentation, le tout enrichi de débats, lectures et projections.
« L’anglais est une langue dominante, mais celle que l’on connaît est appauvrie. » Le but est de faire découvrir « la richesse de la langue dans toutes ses nuances » avec un espoir de réciprocité en faisant découvrir au public anglophone la richesse du français.

Quel a été votre parcours d’études pour devenir Directeur du Festival ?

Avec l’humour et la modestie qui le caractérisent, M. Rodrigues a prévenu les élèves que sa réponse ne les impressionnerait pas beaucoup et risquait même de déplaire aux instances du Lycée.

Se disant lui-même élève médiocre d’une banlieue de Lisbonne, il a évoqué le professeur de sociologie qui dirigeait le groupe de théâtre de son collège qui lui dit un jour « Samedi, tu viens ! ». Croyant à une erreur, pas intéressé par le théâtre, il lui a fallu trois injonctions de l’enseignant « Samedi, tu viens ! » pour rejoindre le groupe qu’il décrit comme des « naufragés fascinants, tous sur le même rafiot ».

Après le lycée, ce furent de « petits boulots », avant de tenter d’entrer au Conservatoire d’Art dramatique de Lisbonne qui présentait l’énorme avantage de ne pas poser de conditions aux candidatures. Arrivé 1er parmi les refusés, devant Nuno Lopes, devenu depuis un acteur de premier ordre au Portugal et devant une certaine Chloé, Tiago a bénéficié de l’acharnement combattif de cette dernière qui, contestant l’arbitraire subjectivité de son rejet, a obtenu son intégration et, par la force des choses, celle des deux candidats qui la précédaient dans la liste des recalés…

Puis, il a suivi la compagnie belge tg STAN, acronyme de Stop Thinking About Names, à Anvers, créé sa propre compagnie en 2003, pris la direction artistique du Théâtre National Dona Maria II de Lisbonne (équivalent du Théâtre national de l’Odéon à Paris) en 2014, puis envoyé sa lettre de candidature pour diriger le Festival d’Avignon… à la tête duquel il a été nommé pour succéder à Olivier Py en septembre 2022.

En conclusion, il se voit comme un autodidacte plein de curiosité et en quête d’invention et de découverte, tout en rappelant le respect et l’admiration qu’il voue aux lieux d’étude et de recherche. Rappelant que c’est l’acharnement d’une candidate malheureuse qui l’a indirectement mené jusqu’ici, M. Rodrigues a rendu grâce aux « autres, qui nous mettent dans les bons rafiots ».

Vos pièces peuvent-elles toujours être jouées ailleurs ?

Depuis Jean Vilar, la direction du Festival a été confiée alternativement à des artistes et des non-artistes. Pour les premiers, la question se pose toujours entre la présentation évidente de leur travail et l’attention à l’égalité d’opportunité pour les autres artistes.

Dans le cas de M. Rodrigues, le Festival programme By Heart (en clôture – un spectacle poétique avec participation active du public qui a sillonné le monde) et pendant ce temps il confie aux équipes de ses autres spectacles le soin de faire tourner ses pièces à la Biennale de Venise, à Francfort et ailleurs : « la vie des pièces continue ».

Quelle est la pièce que vous avez le plus aimé écrire ?

« La première » tient toujours une place particulière ; celle de Tiago Rodrigues s’intitule Chœur des amants, une pièce pour une comédienne et un comédien. « Ce n’est pas forcément la meilleure, mais elle dit ‘c’est possible’. Faire pour la première fois quelque chose qui a une dimension publique, c’est immense et très personnel. On s’expose beaucoup. Le travail d’écriture est toujours nourri d’expériences intimes, de notre vision du monde, même quand il n’est pas autobiographique.
De ce fait, la première pièce est probablement la plus marquante, la plus forte. La peur de ne pas réussir ne se pose plus, on se dit ‘je peux le faire’ ».

« La prochaine, évidemment ! »

Nous avons étudié Antigone de Jean Anouilh et savons que vous avez écrit des pièces inspirées de la tragédie grecque, pourquoi ?

Tiago Rodrigues a joué Hémon et le Garde dans la pièce d’Anouilh, et joué aussi dans la pièce de Cocteau qui propose une version comprimée de l’histoire contée par Sophocle, tout en y ajoutant une scène inédite entre Hémon et Antigone.

En réponse à la question, M. Rodrigues cite Arundathi Roy, autrice indienne, qui pense que l’on revient aux grandes histoires, « pas pour les changer mais pour leur donner un sens d’aujourd’hui ». En l’occurrence, il ne s’agit pas par exemple de sauver Antigone, mais de trouver comment elle va mourir cette fois-ci, trouver le détail qui raconte plus que l’histoire. Il fait un parallèle avec les chansons que l’on écoute en boucle ou les blagues que l’on perfectionne en les racontant cent fois. Cela vient d’un besoin de faire « SA version de ce qui existe déjà ».

Dans le cas de ses pièces Iphigénie, Agamemnon et Électre, Tiago Rodrigues a voulu souligner le côté « inévitable de la tragédie. C’est le destin. », tout en y apportant un éclairage contemporain sur les crises économiques et financières européennes de son époque. Il perçoit le suicide du personnage comme une façon de s’approprier son corps et de ne pas être une simple victime de l’inévitable.

Comment choisissez-vous les pièces programmées au Festival ? Quels sont les critères ? Y a-t-il un quota pour des « classiques » ?

« Le principal critère est [justement] de déterminer quel est le critère. Il y a un dialogue constant avec les artistes car c’est un festival de créations : 33 spectacles sur les 44 programmés n’existent pas encore. On rencontre les artistes dont on a déjà vu le travail et on leur demande ‘C’est quoi ton prochain spectacle ?’. Ensuite c’est un jeu d’équilibres. »

Les éléments à mettre en balance :

  • Les lieux à utiliser selon l’échelle de chaque spectacle - Certains artistes ont souhaité un cadre naturel et joueront leur spectacle dans l’espace vivant (champs, forêts…), même en déambulation sous forme de randonnée entrecoupée de pauses et de moments de convivialité avec comme sujet le paysage lui-même (Paysages partagés).
  • Une combinaison de créations françaises et internationales
  • Les disciplines : théâtre, danse, etc.
  • La parité homme / femme : cette année, plus de la moitié des spectacles seront dirigés ou co-dirigés par une femme
  • La diversité des backgrounds sociaux et culturels
  • La composition de la programmation dessine ces équilibres en commençant par les plus « gros spectacles » et le fil conducteur émerge au fur et à mesure.

Quels sont les grands changements à venir ?

Le Festival, c’est un peu comme la « musique de Beethoven, rejouée sans cesse par tant de grands artistes. Il s’agit de se mettre au service d’une histoire et de l’interpréter pour aujourd’hui et demain. Les artistes programmés ont une créativité et un enthousiasme contagieux qui produisent des rencontres, des visions innovantes et cassent les codes en utilisant les lieux autrement, en mélangeant les publics. J’admire leur façon de travailler, pleine de risques et de vitalité pour faire du spectacle vivant.

En ouverture cette année, en accord avec des convictions profondes, ce sera un spectacle dirigé par une femme. »

Quel est le rôle du Directeur ?

C’est un rôle de supervision. Il s’agit de traduire le fruit de multiples échanges pour leur donner un sens, une vision à communiquer à son équipe puis au public.

En septembre, il y a 34 permanents qui travaillent toute l’année à la préparation du Festival. Ces effectifs commencent à « ‘gonfler’ à partir de janvier et en juin il y a 700 personnes impliquées ». Le rôle du Directeur c’est d’accompagner les artistes et ce « gonflement » de l’équipe.

Prenez-vous des stagiaires ?

Outre les réponses pratiques apportées par la Directrice de la Communication et des relations avec le public du Festival présente quant aux niveaux et modalités de recrutement des stagiaires et saisonniers, le Directeur a invité les élèves à commencer par venir au moins une fois assister au Festival en tant que festivaliers. Il précise : « les spectateurs d’Avignon ne disent pas qu’ils VONT au Festival, ils disent qu’ils FONT le Festival. Ils se débattent en faisant la queue et en mangeant leur sandwich dans la rue, comme si le théâtre était la chose la plus importante au monde. Et d’ailleurs, c’est VRAI ! »

Une belle conclusion pour cette rencontre qui aura inspiré les élèves, les enseignants et les personnels présents.

***

Le site du festival : ici

Pour information, la billetterie fonctionne de manière graduelle, proposant régulièrement des lots de billets à la vente pour donner leur chance à tous les spectateurs.


Crédit photos – en salle Iselin ©LFCG / Au Festival ©Christophe Raynaud de Lage

La 77eédition du Festival d’Avignon invitera la langue anglaise. Son nouveau Directeur, Tiago Rodrigues, a donc été convié à Londres, à l’Institut Français, où il a rencontré des professionnels du spectacle vivant et du public curieux des œuvres de nos deux pays. Lors de sa visite au LFCG, il a échangé avecune centaine de nos élèves de la 3e à la Terminale ayant un intérêt particulier pour le théâtre. M. Rodrigues est revenu sur l’histoire et la philosophie du Festival, avant de se prêter volontiers à une séance de questions-réponses.

Malgré tout le prestige de sa fonction et du Festival, c’est en toute simplicité, franchise et décontraction, et avec beaucoup de chaleur que Tiago Rodrigues a enthousiasmé son auditoire.

Tout a commencé en 1947 avec la vision idéale de Jean Vilar d’un théâtre populaire riche de la pluralité des esthétiques et des cultures, devenu depuis un festival internationalement reconnu.

Selon son nouveau Directeur, le Festival d’Avignon « n’est peut-être pas le plus grand festival d’art vivant au monde, mais c’est sans conteste le plus beau », avec ses lieux mythiques, tels que la Cour du Palais des Papes et autres chapelles et cloîtres qui, pour un temps, se transforment en théâtres. D’ailleurs, cette année, la carrière de Boulbon, située hors les murs, convertie pour la première fois en lieu de spectacle par le célèbre Peter Brook en 1985 pour son Mahabharata – il cherchait alors un lieu nouveau et insolite qu’il avait trouvé dans cette caverne en plein air – sera de nouveau utilisée, ce qui n’est pas le cas tous les ans.

Selon T. Rodrigues, « l’expérience (inoubliable) du Festival est liée aux lieux inhabituels et aux spectacles eux-mêmes inoubliables ». Le travail de conversion de ces espaces singuliers et uniques est colossal et demande une grande préparation pour permettre des « accidents heureux ».

Cette année, un effort particulier se tourne vers le jeune public dans un esprit d’éducation artistique et populaire. Du 5 au 25 juillet, 5.000 jeunes venus de France et d’ailleurs viendront faire un même parcours, voir les mêmes spectacles et rencontrer les artistes. Outre leur âge, ils auront comme point commun de vivre ensemble l’expérience avignonnaise pour la Première Fois, en écho au rêve de Jean Vilar de rendre le théâtre accessible au plus grand nombre. L’idée est de leur faire vivre une expérience transformatrice en toute informalité, avec le bon accompagnement. Venir au Festival a quelque chose d’intimidant, et pourtant, on peut s’y rendre en « baskets, voire en claquettes ».
À propos de la jeunesse, Tiago Rodrigues a exprimé et réitéré son enthousiasme à rencontrer nos élèves et leur a promis des réponses sans filtres aux questions posées très librement, en proposant de profiter de ces échanges pour leur faire quelques suggestions de spectacles pour cet été.

Questions des élèves

Vous parlez d’art vivant, quelles disciplines seront représentées cet été ? Par exemple, l’opéra ?

Au départ, Jean Vilar étant un homme de théâtre, il avait organisé la première Semaine d’Art dramatique. Puis, dès 1967, il y avait ajouté de la danse avec Maurice Béjart et du cinéma avec Jean-Luc Godard avec son film La Chinoise.
Depuis, le Festival, c’est généralement plus de 50% de théâtre, beaucoup de danse et de l’« indiscipline », des spectacles-performances. Cette année, il y aura également des apports des arts visuels et même de la musique, par exemple en partenariat avec la Collection Lambert ou le Printemps de Bourges (avec la recréation des albums mythiques de 1972 de David Bowie, Lou Reed et Neil Young) : sur les 44 spectacles présentés, 10 seront de la danse et il y aura 2 expositions, des concerts, etc.

Concernant l’art lyrique, M. Rodrigues ne l’a pas exclu, précisant qu’il ne fait pas partie de la tradition du Festival, mais que rien ne l’interdit. Il a cependant rappelé les exigences acoustiques de cette forme artistique peu compatibles avec les lieux avignonnais. En outre, le prestigieux festival d’Aix-en-Provence, voisin, ou les chorégies d’Orange se conçoivent en complémentarité de celui d’Avignon.

Quelle pièce vous a le plus marqué ?

À la question-piège qu’il redoute à chaque interview de journaliste et qu’un élève lui a posé de manière candide, M. Rodrigues a répondu qu’il aime par-dessus tout le théâtre qui marie avec malice l’émotion d’une intrigue, la mise en scène et la profondeur des personnages.

Que ressentez-vous quand vous écrivez une pièce ?

Tiago Rodrigues est auteur, acteur et metteur en scène, mais pour sa visite au Lycée, il est venu en tant que Directeur du Festival d’Avignon, pour représenter tous les artistes et leurs spectacles. Il a tout de même admis qu’il travaille bien mieux sous pression avec des dates limites et qu’il écrit « avec et pour les comédien(nes) ». « Dans une sorte de dialogue, de roman épistolaire », il peut par exemple écrire le matin pour la répétition de l’après-midi. « Une mauvaise scène écrite le matin peut donner une formidable répétition », s’enrichissant des apports de chacun, de la confiance en équipe, car il sait s’entourer, et par un travail collaboratif. Bien qu’il n’ait pas, de son propre aveu, la rigueur de certains auteurs qui écrivent avec régularité, il prend beaucoup de notes qui façonnent progressivement ses pièces.

Comment est financé le Festival ? Quelle est sa relation avec l’État ?

Le Festival est géré par une association indépendante, mais il est perçu comme remplissant une mission de service public, et une contribution au patrimoine immatériel national. À ce titre, totalement autonome dans sa gestion, l’association travaille avec rigueur et transparence et reçoit un accompagnement financier.

À 55%, le Festival bénéficie de financements publics provenant de l’État et de 4 collectivités territoriales : la ville d’Avignon, l’agglomération du Grand Avignon, le département de Vaucluse et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le reste provient essentiellement de la billetterie, complété par des partenariats, des mécènes, des financements européens…

La question n’ayant pas été posée, M. Rodrigues a tenu à expliquer l’invitation faite à la langue anglaise en 2023.

L’idée est d’inviter une nouvelle langue chaque année. De permettre aux spectateurs de découvrir les arts vivants de cette langue (en l’occurrence, du Royaume-Uni, des États-Unis, d’Australie et du Nigéria). Sur les 44 spectacles, beaucoup sont en anglais mais surtitrés en français et plus de 30 seront ainsi accessibles aux anglophones par des surtitres ou de la documentation, le tout enrichi de débats, lectures et projections.
« L’anglais est une langue dominante, mais celle que l’on connaît est appauvrie. » Le but est de faire découvrir « la richesse de la langue dans toutes ses nuances » avec un espoir de réciprocité en faisant découvrir au public anglophone la richesse du français.

Quel a été votre parcours d’études pour devenir Directeur du Festival ?

Avec l’humour et la modestie qui le caractérisent, M. Rodrigues a prévenu les élèves que sa réponse ne les impressionnerait pas beaucoup et risquait même de déplaire aux instances du Lycée.

Se disant lui-même élève médiocre d’une banlieue de Lisbonne, il a évoqué le professeur de sociologie qui dirigeait le groupe de théâtre de son collège qui lui dit un jour « Samedi, tu viens ! ». Croyant à une erreur, pas intéressé par le théâtre, il lui a fallu trois injonctions de l’enseignant « Samedi, tu viens ! » pour rejoindre le groupe qu’il décrit comme des « naufragés fascinants, tous sur le même rafiot ».

Après le lycée, ce furent de « petits boulots », avant de tenter d’entrer au Conservatoire d’Art dramatique de Lisbonne qui présentait l’énorme avantage de ne pas poser de conditions aux candidatures. Arrivé 1er parmi les refusés, devant Nuno Lopes, devenu depuis un acteur de premier ordre au Portugal et devant une certaine Chloé, Tiago a bénéficié de l’acharnement combattif de cette dernière qui, contestant l’arbitraire subjectivité de son rejet, a obtenu son intégration et, par la force des choses, celle des deux candidats qui la précédaient dans la liste des recalés…

Puis, il a suivi la compagnie belge tg STAN, acronyme de Stop Thinking About Names, à Anvers, créé sa propre compagnie en 2003, pris la direction artistique du Théâtre National Dona Maria II de Lisbonne (équivalent du Théâtre national de l’Odéon à Paris) en 2014, puis envoyé sa lettre de candidature pour diriger le Festival d’Avignon… à la tête duquel il a été nommé pour succéder à Olivier Py en septembre 2022.

En conclusion, il se voit comme un autodidacte plein de curiosité et en quête d’invention et de découverte, tout en rappelant le respect et l’admiration qu’il voue aux lieux d’étude et de recherche. Rappelant que c’est l’acharnement d’une candidate malheureuse qui l’a indirectement mené jusqu’ici, M. Rodrigues a rendu grâce aux « autres, qui nous mettent dans les bons rafiots ».

Vos pièces peuvent-elles toujours être jouées ailleurs ?

Depuis Jean Vilar, la direction du Festival a été confiée alternativement à des artistes et des non-artistes. Pour les premiers, la question se pose toujours entre la présentation évidente de leur travail et l’attention à l’égalité d’opportunité pour les autres artistes.

Dans le cas de M. Rodrigues, le Festival programme By Heart (en clôture – un spectacle poétique avec participation active du public qui a sillonné le monde) et pendant ce temps il confie aux équipes de ses autres spectacles le soin de faire tourner ses pièces à la Biennale de Venise, à Francfort et ailleurs : « la vie des pièces continue ».

Quelle est la pièce que vous avez le plus aimé écrire ?

« La première » tient toujours une place particulière ; celle de Tiago Rodrigues s’intitule Chœur des amants, une pièce pour une comédienne et un comédien. « Ce n’est pas forcément la meilleure, mais elle dit ‘c’est possible’. Faire pour la première fois quelque chose qui a une dimension publique, c’est immense et très personnel. On s’expose beaucoup. Le travail d’écriture est toujours nourri d’expériences intimes, de notre vision du monde, même quand il n’est pas autobiographique.
De ce fait, la première pièce est probablement la plus marquante, la plus forte. La peur de ne pas réussir ne se pose plus, on se dit ‘je peux le faire’ ».

« La prochaine, évidemment ! »

Nous avons étudié Antigone de Jean Anouilh et savons que vous avez écrit des pièces inspirées de la tragédie grecque, pourquoi ?

Tiago Rodrigues a joué Hémon et le Garde dans la pièce d’Anouilh, et joué aussi dans la pièce de Cocteau qui propose une version comprimée de l’histoire contée par Sophocle, tout en y ajoutant une scène inédite entre Hémon et Antigone.

En réponse à la question, M. Rodrigues cite Arundathi Roy, autrice indienne, qui pense que l’on revient aux grandes histoires, « pas pour les changer mais pour leur donner un sens d’aujourd’hui ». En l’occurrence, il ne s’agit pas par exemple de sauver Antigone, mais de trouver comment elle va mourir cette fois-ci, trouver le détail qui raconte plus que l’histoire. Il fait un parallèle avec les chansons que l’on écoute en boucle ou les blagues que l’on perfectionne en les racontant cent fois. Cela vient d’un besoin de faire « SA version de ce qui existe déjà ».

Dans le cas de ses pièces Iphigénie, Agamemnon et Électre, Tiago Rodrigues a voulu souligner le côté « inévitable de la tragédie. C’est le destin. », tout en y apportant un éclairage contemporain sur les crises économiques et financières européennes de son époque. Il perçoit le suicide du personnage comme une façon de s’approprier son corps et de ne pas être une simple victime de l’inévitable.

Comment choisissez-vous les pièces programmées au Festival ? Quels sont les critères ? Y a-t-il un quota pour des « classiques » ?

« Le principal critère est [justement] de déterminer quel est le critère. Il y a un dialogue constant avec les artistes car c’est un festival de créations : 33 spectacles sur les 44 programmés n’existent pas encore. On rencontre les artistes dont on a déjà vu le travail et on leur demande ‘C’est quoi ton prochain spectacle ?’. Ensuite c’est un jeu d’équilibres. »

Les éléments à mettre en balance :

  • Les lieux à utiliser selon l’échelle de chaque spectacle - Certains artistes ont souhaité un cadre naturel et joueront leur spectacle dans l’espace vivant (champs, forêts…), même en déambulation sous forme de randonnée entrecoupée de pauses et de moments de convivialité avec comme sujet le paysage lui-même (Paysages partagés).
  • Une combinaison de créations françaises et internationales
  • Les disciplines : théâtre, danse, etc.
  • La parité homme / femme : cette année, plus de la moitié des spectacles seront dirigés ou co-dirigés par une femme
  • La diversité des backgrounds sociaux et culturels
  • La composition de la programmation dessine ces équilibres en commençant par les plus « gros spectacles » et le fil conducteur émerge au fur et à mesure.

Quels sont les grands changements à venir ?

Le Festival, c’est un peu comme la « musique de Beethoven, rejouée sans cesse par tant de grands artistes. Il s’agit de se mettre au service d’une histoire et de l’interpréter pour aujourd’hui et demain. Les artistes programmés ont une créativité et un enthousiasme contagieux qui produisent des rencontres, des visions innovantes et cassent les codes en utilisant les lieux autrement, en mélangeant les publics. J’admire leur façon de travailler, pleine de risques et de vitalité pour faire du spectacle vivant.

En ouverture cette année, en accord avec des convictions profondes, ce sera un spectacle dirigé par une femme. »

Quel est le rôle du Directeur ?

C’est un rôle de supervision. Il s’agit de traduire le fruit de multiples échanges pour leur donner un sens, une vision à communiquer à son équipe puis au public.

En septembre, il y a 34 permanents qui travaillent toute l’année à la préparation du Festival. Ces effectifs commencent à « ‘gonfler’ à partir de janvier et en juin il y a 700 personnes impliquées ». Le rôle du Directeur c’est d’accompagner les artistes et ce « gonflement » de l’équipe.

Prenez-vous des stagiaires ?

Outre les réponses pratiques apportées par la Directrice de la Communication et des relations avec le public du Festival présente quant aux niveaux et modalités de recrutement des stagiaires et saisonniers, le Directeur a invité les élèves à commencer par venir au moins une fois assister au Festival en tant que festivaliers. Il précise : « les spectateurs d’Avignon ne disent pas qu’ils VONT au Festival, ils disent qu’ils FONT le Festival. Ils se débattent en faisant la queue et en mangeant leur sandwich dans la rue, comme si le théâtre était la chose la plus importante au monde. Et d’ailleurs, c’est VRAI ! »

Une belle conclusion pour cette rencontre qui aura inspiré les élèves, les enseignants et les personnels présents.

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